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Le « Surtourisme » En Grèce : Un Mal Nécessaire ?

Margarita Kopsia

April

À l’heure où le soleil réapparaît à travers les nuages mentonnaises et où l’on songe à nos escapades estivales, la saison touristique en Grèce est sur le point de débuter. Mais tandis que le pays s’apprête à recevoir l’immense majorité des quelques 30 millions de touristes qu’il accueille chaque année, le moment serait aussi venu de questionner les enjeux qui vont de pair avec de tels records exceptionnels, faisant des paysages grecs les véritables victimes de leur succès. 



Le tourisme en Grèce: moteur de croissance, mais à quel prix ? 


La Grèce a accueilli en 2024 près de 35,9 millions de touristes étrangers, un « cap historique » dont les effets sont devenus trop apparents pour ne pas être examinés. Car en réalité, le tourisme, bien que générant 18% du PIB national et permettant l’emploi de « 900 000 personnes, » est la même force que celle derrière l’importante dégradation environnementale et l’augmentation des prix qui caractérisent les destinations les plus célèbres du pays. Qu’il s’agisse des îles dans la mer Égée, de la capitale grecque, Athènes, ou les îles des Cyclades et du Dodécanèse, les ravages d’un tourisme de masse sans précédent ont des conséquences considérables. 


Entre les difficultés liées à la gestion des déchets, les pénuries d’eau sur les îles et les embouteillages dans les sites urbains, ces « défis de saison » rendent les discussions autour des limites du tourisme plus que pertinentes. Peut-être faudrait-il alors aussi s’interroger sur le réel impact de cette « overdose » touristique, afin de mettre en évidence une face moins ensoleillée de la Grèce, mais qui mérite à son tour d’être étudiée.


À titre illustratif, la situation dans laquelle se trouve l’île de Santorin est caractéristique de ces dynamiques contradictoires, qui font du tourisme en Grèce une force à double tranchant. Les enjeux de Santorin dévoilent à quel point le tourisme est vecteur de défis mais aussi de développements, qui sont d’ailleurs aussi ceux des autres îles des Cyclades comme Mykonos, Paros ou Naxos, et d’autres destinations populaires dans la mer Égée et au-delà. 


Selon les propos tenus par le maire de Santorin en 2024, les problèmes dûs à la « saturation » de l’île rendent sa situation incontrôlable, à l’image des obstacles courants en « approvisionnement en eau et en électricité » pendant l’été. Car au-delà de la « défiguration » du paysage engendrée par l’omniprésence des hôtels et des complexes de luxe, et la menace que cela représente pour la préservation et la mise en valeur de son patrimoine naturel et culturel, il faut aussi noter que la densité de cette masse touristique rend l’île « inaccessible » pour la grande majorité de la population. En effet, dans le courant des mois de juin à septembre, Santorin n’échappe pas à la « flambée des prix » qui touche la plupart des endroits les plus visités de la Grèce, ni à « l’indisponibilité des logements » pour les populations locales. 


Parallèlement, les débats relatifs aux limites du tourisme acquièrent une dimension sociale et politique, lorsqu’il s’agit pour les locaux de juger que leurs droits sont menacés par ces affluences, mais aussi—et surtout—par la non-application des lois relatives à l’aménagement urbain sur les littoraux. Ainsi, le « mouvement des serviettes, » « né [...] sur l'île de Paros » en été 2023, fut un « mouvement de protestation inédit » en réaction à « l'occupation illégale des plages par des restaurateurs et des beach bars, » contraire à la Constitution grecque. Ainsi, comme l’explique la Présidente de la Chambre de l'environnement en Grèce en 2024, « les lois sur la construction sont très faibles et très flexibles en Grèce. Il y a un cruel manque de plan d'aménagement du territoire, et lorsqu'il existe, il n'est pas respecté. » 


Plus que le tourisme de masse, le « surtourisme » 


Malgré ces problématiques, le secteur tertiaire représente toujours trois quarts du PIB grec, et est lui-même largement constitué des activités touristiques. Ainsi, s’il ne s’agit pas pour la Grèce de renoncer au tourisme, comment pouvons-nous nommer l’impasse dans laquelle le pays se trouve, en faisant allusion aux problèmes associés à sa branche économique dominante? Se livrer à un telle entreprise de conceptualisation est important, parce que mieux nommer ces problèmes, c’est aussi mieux les comprendre. Saisir toute l’ampleur du surtourisme en Grèce et ses complexités intrinsèques est nécessaire pour affronter plus efficacement les enjeux qui le constituent. 


Face à cet engagement, la notion de surtourisme s’impose, soit overtourism en anglais. Selon le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), ce néologisme « se caractérise par une mobilité accrue où l’afflux de visiteurs dépasse la capacité d’accueil d’une destination. » Cependant, à la différence du simple concept de « surcharge » touristique, le surtourisme permet d’attirer l’attention sur les « paradoxes intrinsèques au tourisme international, » entre « logiques de rentabilité et exigences de durabilité. » Car, en réalité, le cas de la Grèce est loin d’être unique. Et le surtourisme, toujours fidèle aux dynamiques de mouvement qui le caractérisent, ne se limite pas aux frontières nationales, mais dépasse les pays et les nations. 


Qu’ils s’agisse de l’Italie, de l’Espagne et des capitales européennes, des îles et des pays en Asie du Sud-Est tels que Bali ou la Thaïlande, ou des pays en Amérique latine comme le Mexique et le Pérou, les dangers du surtourisme deviennent de plus en plus visibles. Ils suscitent parfois de vives réactions de la part des habitants et des gouvernements. Ainsi, si la Grèce a prévu d' « imposer aux croisiéristes une taxe de 20 euros, » Florence met en place « l’interdiction d’Airbnb et des locations saisonnières [...] dans le centre historique » et « au Machu Picchu au Pérou, la billetterie est devenue plus stricte avec créneaux horaires imposés. » 


Le développement d’un tourisme durable en Grèce: une perspective réaliste sur le long terme? 


Loin de se laisser désespérer par cette situation, certains préfèrent interroger—de manière compréhensive et réaliste—la perspective du développement d’un « tourisme durable » en Grèce. Ce dernier permettrait au pays de réconcilier ses activités économiques dominantes avec le bien-être de ses habitants et la préservation de son patrimoine naturel et culturel, conformément à la définition du tourisme durable proposée par l’Organisation mondiale du tourisme. En tant que « tourisme qui tient pleinement compte de ses impacts économiques, sociaux et environnementaux, actuels et futurs » et « répondant aux besoins des visiteurs, des professionnels de l’environnement et des communautés d’accueil. » Le tourisme durable peut raviver l’espoir, mais aussi susciter de nouvelles séries de questions, notamment par rapport à sa réelle efficacité et moyens d’action. 


En Europe ces dernières années, « durable » sonne de plus en plus avec « train, » en vertu de l’accessibilité de la plupart des villes européennes telles que Londres, Amsterdam, Barcelone ou Milan à travers les réseaux de TGV ou autres trains de nuit. D’autre part, un nombre croissant de touristes privilégient des formes de tourisme alternatif, favorisant une meilleure proximité avec la nature et les moyens de transport moins polluants. 


L’offre devant suivre la demande grandissante, force est de constater que ce projet est aussi en train de gagner en popularité et de prendre forme en Grèce. Ainsi, « de nombreux hôtels et complexes hôteliers ont installé des systèmes photovoltaïques afin de réduire les diffusions de gaz carbonique, » tandis que l’agenda de la Grèce en matière de tourisme durable se concentre également sur l’élaboration de nouveaux plans d’investissement. La nouvelle « Loi sur les incitations aux investissements », ainsi que son « nouveau schéma PPP (partenariat public / privé), » incarnent ces engagements. Par conséquent, serait-il davantage intéressant de se demander si le tourisme durable en Grèce est un projet qui portera ses fruits, une promesse qui mérite d’être tenue? 



« Mal nécessaire, » il s’avère que la Grèce entretient un rapport étroit au tourisme, d’autant plus au surtourisme. Pays autant dépendant que victime de ses effets, il s’inscrit pourtant dans des logiques qui tentent de dépasser ces limitations initiales, pour tirer pleinement parti de sa situation. Le tourisme, en tant que phénomène, subit des transformations, des mutations, qui—nous l’espérons—vont dans le sens d’une meilleure adaptation aux priorités contemporaines. Il faut réponder au mieux aux préoccupations de ses contextes locaux.


Photo source: Mstyslav Chernov on Wikimedia

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