
Eloïse Franzmann
December 19, 2025
L’algorithme de Parcoursup, en faisant varier la valeur des élèves selon leurs résultats scolaires mais aussi en faisant respecter de critères spécifiques pour certaines filières, incarne parfaitement le paradigme compétitif qui structure le système éducatif français. Ce système éducatif repose sur une survalorisation de la compétition entre les élèves : les évaluations et classements sont constants, l’apprentissage coopératif absent. Dès le plus jeune âge, l’enfant apprend non seulement à maîtriser des connaissances mais surtout à se situer par rapport aux autres, à rivaliser pour obtenir une place valorisée. C’est une scène du quotidien révélatrice : alors que l’enseignant distribue les copies, les questions “Alors t’as eu combien?” fusent immédiatement. Une interrogation curieuse, qui traduit ce besoin constant de se situer par rapport à ces camarades, dans la conquête de la meilleure note, symbole de victoire.
On invoque souvent, et à juste titre, que la compétition favoriserait—dans une certaine mesure—la performance et la motivation des élèves. De fait, elle peut conduire à une mobilisation accrue, un investissement plus prononcé, voire une élévation des exigences personnelles. Selon une vision rationnelle, l’humain, considéré comme un être calculateur, aurait besoin d’enjeux exogènes—récompenses, classement—pour se motiver, sans quoi il se désengagerait.
Pourtant, cette vision masque une réalité bien moins attirante. Derrière ces idées fantasmées, l’école peut faire l’objet d’une source d’angoisse majeure : le burn-out scolaire concernerait environ 15% des lycéens, de même qu’un adolescent sur quatre se déclare anxieux à l’idée des interrogations ou de la remise des notes et 62% des élèves se déclarent être fréquemment stressés à cause des évaluations. Ces chiffres font état d’une dégradation alarmante de la santé mentale des élèves, liée à un cadre anxiogène généré par la pression permanente à la réussite. Puisque qu’être seulement bon n’est pas suffisant, l’adoption d’attitudes compétitives contraint les individus à une éternelle insatisfaction d’eux-mêmes, ou au mieux, à une satisfaction temporaire. Un enfant qui baigne dans ce cadre éducatif risque alors de conditionner son estime de soi à cette satisfaction. L’estime de soi, si elle dépend des résultats scolaires, devient une véritable montagne russe émotionnelle.
Si la compétition a des répercussions psychologiques, elle est également source d’une fragilisation des relations sociales. La coopération, la confiance et l’aide mutuelle s’effacent devant le besoin impérieux de se démarquer, de rivaliser. Un étudiant en étude supérieure confie « Je n’aime pas les travaux de groupes, c’est toujours plus compliqué et moins efficace que de travailler seul. » Bien souvent, travailler en groupe constitue une épreuve en soi pour les élèves. Cette difficulté à coopérer vient du fait que la compétition et notamment l’évaluation sont permanentes. Même lors de travaux de groupes, une majorité de professeurs évaluent les élèves individuellement. Que l’on travaille seul, ou en groupe, il faut sans cesse performer, se démarquer, exceller. Faire bien n’est jamais assez, il faut faire mieux que les autres. Un tel état d’esprit amène à penser ses camarades non plus comme des semblables, qui traversent les mêmes défis que nous mais davantage comme des adversaires à dépasser. Les relations de camaraderie sont alors régies par de la méfiance plutôt que par de la confiance. Lors de travaux de groupes, déléguer des tâches peut se révéler difficile, et la majorité du temps peut être consacrée à débattre des travaux de chacun plutôt qu’à une simple répartition claire de ceux-ci.
L’obsession pour l’évaluation, la victoire et être le meilleur favorise le développement de mentalités qui veulent “la gagne quoi qu’il en coûte”. L’équité et l'honnêteté sont alors rapidement abandonnées au profit de méthodes de tricherie. De même l’utilisation croissante d’outils numériques comme l’intelligence artificielle pour réaliser des devoirs ou rédiger des travaux illustre bien ce phénomène : tous les moyens possibles pour accroître ses chances sont bons, même ceux considérés immoraux.
L’injonction à la compétition, surtout lorsqu’elle repose principalement sur des récompenses externes, serait donc coupable d’une baisse de la motivation intrinsèque, d’un assèchement de la curiosité naturelle. Alors que le processus d’apprentissage devrait être valorisé en soi, c’est son seul résultat comptabilisé, la victoire, la note, qui importe réellement.
L’éducation compétitive, en ne valorisant que les têtes de file, est également caractéristique d’un refus de l’échec. L’erreur faisant partie du chemin de la maîtrise, l’apprentissage est largement limité. Puisque l’apprentissage d’une nouvelle discipline est susceptible de mettre l’individu en position d’échec, celui-ci a tendance à tout bonnement éviter cette prise de risque. Naît ainsi une peur de la nouveauté qui peut pousser les élèves à éviter ou abandonner des activités qu’ils auraient pu apprécier dans d’autres circonstances. La condition de cette implication dans de nouvelles activités n’est pas de pouvoir si l’on veut mais davantage celle de vouloir si l’on peut. La motivation étant conditionnée à aux chances supposées de réussite, les bénéfices de l’éducation se voient largement limités.
Le principal pouvoir d’un modèle éducatif centré sur la compétition est sa capacité à générer une dynamique puissante de défi et de dépassement. Cependant, d’autres modèles, comme celui de la Finlande, ont démontré que la coopération peut également conduire à d’excellents résultats, la formation d’une élite intellectuelle et à un bien-être accru. Et pourtant imaginer un système éducatif sans compétition, où tous les élèves seraient placés à pied d’égalité et où personne ne serait meilleur qu’un autre risquerait de brider les talents et contraindre des trajectoires plus spectaculaires.
En fin de compte, un équilibre est à rechercher, entre la reconnaissance des divergences de compétences et l’encouragement à des apprentissages collectifs. Un système éducatif qui s’intéresse à un individu dans un cadre collectif.
Photo source: Erin Lodes, flickr
