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Nostalgie historique et la génération Z: liaisons dangereuses ?

Elsa Uzan

November 13, 2025

Des salles de bals étincelantes de Bridgerton à l'aesthetic Regency Core sur les réseaux sociaux, la génération Z semble obnubilée par une période qu’elle n’a jamais vécu. Comment peut-on expliquer cette fascination pour un monde vieux de deux siècles ?


Cet attrait pour le passé est bien plus qu’un engouement esthétique car il s’inscrit dans un phénomène plus profond, celui de la nostalgie historique. Ce concept désigne une nostalgie  éprouvée de la personne interrogée vis-à-vis d’une période qu’elle n’a pas vécue voire d’une période antérieure à sa naissance. Selon Chris Marchegiani et Ian Phau, cette forme de nostalgie ne repose pas sur une expérience individuelle et directe du passé, mais plutôt sur une représentation collective de celui-ci, puisque les personnes ne l'ont pas vécue et se créent leur propre vision — parfois idéalisée —  du passé. En effet, la connaissance de ces périodes provient de récits, d’images ou de discours socialement transmis, ce qui explique le caractère collectif de cette mémoire. Ainsi, le phénomène relève davantage d’une mémoire partagée, transmise voire même construite par la société moderne. Mais cette transmission du passé n’est pas passive: elle s’accompagne du phénomène plus contemporain de la « nostalgie simulée » qui en est une forme plus médiatisée. Théorisé également par les deux auteurs,  il désigne la construction et la mise en scène d’un événement auquel on attribue – notamment à travers la publicité – une signification symbolique en y associant des objets censés l’incarner, alors même que la personne ne l’a pas vécu.


Cette nostalgie historique 2.0 trouve un terrain d’expression privilégié dans le monde numérique. C’est ce que soulignent Huanshu Jiang Jie Yao Peiyao Cheng et Shumeng Hu, chercheurs à l’Institut de technologie de Harbin à Shenzhen, en démontrant que la génération Z se distingue par son inclination à se plonger dans des mondes virtuels qui  s’explique par le fait qu’elle a grandi avec Internet et les écrans. Dans ce contexte, les interactions contemporaines entre une vision du passé et le rapport au numérique favorisent à la fois une circulation et une réappropriation des références nostalgiques. On peut ainsi observer l’expression d’une instrumentalisation du phénomène de la nostalgie historique par les entreprises comme un outil de stratégie marketing. En effet, l’étude des chercheurs à l’Institut de technologie de Harbin à Shenzhen a montré que les Générations Y, Z et alpha (nées entre 1981 et 2024) ont tendance à considérer les marques et toute forme de designs mobilisant de la nostalgie comme authentiques, crédibles et expressifs, créant une distance par rapport aux produits modernes qui sont considérés comme factices. 

Cependant, penser la nostalgie historique comme une stratégie marketing serait réducteur. En effet, la génération Z ne se borne pas à copier les styles anciens ou à romantiser le passé, mais elle va construire une réflexion renouvelée sur des objets d’une époque particulière, sur des événements et des symboles du passé pour développer ses outils propres d’expression personnelle entre autres par le biais des réseaux sociaux. Cela traduit de manière plus significative comment la génération Z renouvelle les interactions avec le passé dans l’optique de répondre à leurs besoins psychologiques de stabilité et d’épanouissement personnel selon les observations de Clay Routledge and Nicola Avis. Il s’agit aussi de relever les défis contemporains en s’inspirant du passé. La valeur des expériences plus lentes et manuelles du passé s’en trouvent d’autant plus valorisées que selon une étude du Human Flourishing Lab, 60% de la génération Z aux Etats-Unis aimerait revenir à une période où tout le monde n’est pas connecté, dans un monde avant l’invention des réseaux sociaux et d’Internet.


Réduire ce rapport au passé à une stratégie commerciale reviendrait à nier sa dimension réflexive. La romanticisation reste en effet une caractéristique essentielle de la nostalgie historique. La création de nombreuses séries en témoigne, que ce soit sur la régence anglaise avec la série Bridgerton, ou sur la fin du XIXème siècle et le début du XXème siècle avec The Gilded Age ou Downton Abbey. Ces séries et particulièrement Bridgerton sont selon Sharmini Kumar l’illustration d’un pur fantasme d’évasion, visible notamment par les nombreux bals plus exubérants les uns que les autres. Les robes en style régence changeant à chaque évènement traduisent une vision d’âge d’or de la société anglaise. De plus, à chaque apparition de la reine Charlotte, le spectateur découvre une perruque différente, parmi lesquelles une volière ou encore une avec un étang et un cygne en mouvement. Ces facettes de la série montrent une image de prospérité et de luxe de la Régence. Toutefois, Bridgerton néglige la réalité criante de l’industrialisation et surtout par une pauvreté importante de la population urbaine qui n’est ni montrée, ni mentionnée dans la série. Par la romanticisation, le passé devient un univers séduisant et accessible où le spectateur projette ses désirs personnels d’appartenance et d'évasion. 


L’idée d’évasion associée à Bridgerton est renforcée par la manière dont l’inclusivité  culturelle remodèle les représentations historiques et, par extension, la nostalgie historique. La série présente en effet plusieurs inexactitudes historiques, particulièrement du point de vue de la représentation de la culture indienne. La langue utilisée dans le programme est erronée et conduit à des ambiguïtés. Les termes « Didi », « Bon » et « Appa » traduisent une vision superficielle de la culture indienne car ils appartiennent à des langues et des régions différentes. Cette simplification de la diversité culturelle indienne et la confusion entre des expressions linguistiques et régionales peut être nocive. En effet, cette représentation imprègne la génération Z d’une image erronée car trop largement simplifiée, malgré le caractère divertissant du programme. Cette vision euro-centrée représente ainsi un danger dans le sens où elle peut pérenniser de telles représentations dans la société à l’échelle mondiale, vu le succès retentissant de la série. Bridgerton met en avant la diversité comme argument marketing, à travers une représentation faussement authentique. 


Plus récemment, de nouveaux phénomènes sont identifiés par les chercheurs, au-delà de la nostalgie « simulée ». Parmi eux, la notion de « méta-nostalgie », théorisée par Clay Routledge et Nicola Avis, désigne un intérêt des jeunes pour les expériences nostalgiques des générations antérieures qu’ils réinterprètent. C’est ainsi que naît un dialogue intergénérationnel qui s'appuie sur des repères culturels communs à ces générations.


Ainsi, la nostalgie historique révèle bien plus qu’un goût esthétique de la génération Z: elle s’inscrit dans une recherche de sens et de stabilité dans un monde fragmenté.  L’avenir du phénomène demeure toutefois incertain puisque la quantité considérable d’informations disponibles interroge : aurons-nous toujours le temps de penser le passé – surtout celui que l’on n’a pas vécu ? C’est peut-être là tout le paradoxe de la nostalgie historique: dans un monde saturé d’informations, elle devient l’incarnation d’une forme moderne de rébellion, de refus de la surinformation.

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