
Emilie Pezet
Aujourd’hui omniprésente dans nos vies, l’information s’est profondément transformée. Ses canaux aussi. Dès lors, contrôler sa qualité devient un enjeu crucial pour éclairer notre opinion.
L’information est au centre de la démocratie. Et les médias en sont les relais : ils alimentent le débat public, contribuent à l’analyse des événements, des prises de parole et aident les citoyens à se faire leur opinion. Avec l’arrivée du numérique, les sources d’information se sont multipliées. Sommes-nous, pour autant, mieux informés ? À la radio, à la télévision, sur nos téléphones ou dans les journaux, l’information est partout. Pourtant obtenir une information de qualité nous demande un effort et un engagement particulier.
L’infobésité : trop d’informations tue l’information
S’informer est crucial pour comprendre le monde qui nous entoure mais aujourd’hui nous sommes submergés par l’afflux continu d'informations, relayées par différentes sources. Devant cette avalanche de ‘news,’ les individus ne savent plus quelles informations sont fiables, ni comment les vérifier, et cela peut fragiliser le débat public. Une majorité du public affirme d’ailleurs que distinguer le vrai du faux en ligne devient de plus en plus difficile. Sans possibilité d’accéder facilement et gratuitement à des informations de qualité, construire une opinion s’avère compliqué.
Un des éléments marquants de cette sur-information est l’influence croissante du numérique : concrètement, on s’informe de plus en plus via des plateformes et formats en ligne. En 2022, une enquête statistique nous apprend que l’attention des Français est accaparée par les chaînes de télévision et les réseaux sociaux. Or les algorithmes utilisés sur ces plateformes privilégient ce qui ressemble à ce que l’on a déjà vu, aimé ou partagé : on reçoit alors les mêmes types de messages, la contradiction se raréfie. Ce mécanisme de chambre d’écho peut nuire à la construction d’une opinion éclairée, d’autant que les réseaux sociaux, devenus des relais centraux de l’information, en sont l’un des principaux foyers.
Les réseaux sociaux : une information accessible mais un moteur de désinformation
Les réseaux sociaux donnent un accès immédiat à l’information, grâce aux notifications et aux formats courts. En contrepartie, les plateformes se chargent de la sélection du contenu : ses algorithmes décident ce qui apparaît dans le fil et dans quel ordre, à partir de notre historique et de nos interactions.
Dans ce contexte, les médias traditionnels, comme Le Monde ou Courrier International, se sont finalement lancés sur les réseaux sociaux en publiant des extraits voire l'intégralité d’articles. Malgré cela, le contenu d’ ‘influenceurs’ spécialisés dans les informations occupent une place majeure dans ce que les utilisateurs voient au quotidien.
En France, Hugo Travers s’impose sous le pseudonyme d’Hugo Décrypte depuis 2015. Il publie des synthèses de l’actualité et des reportages sous forme de vidéos, de podcasts et de carrousels sur une pluralité de plateformes. Bien que ces créateurs s’appuient souvent sur des sources journalistiques, ils imposent un cadrage éditorial puissant, d’autant que l’algorithme amplifie certains contenus. Cet accès accéléré à l’information a un prix : la vérification est en partie externalisée à des créateurs et à des plateformes peu transparentes.
La faible vigilance des utilisateurs et le peu d’incitations à vérifier posent de nouveaux défis pour préserver un regard critique. D’autant que des acteurs organisés ont saisi le levier qu’offrent ces outils pour influencer l’opinion par la désinformation. La désinformation qui « vise principalement à tromper et est diffusée dans le but de causer un préjudice grave. » On peut citer l’opération « Doppelgänger », mise au jour par EU DisinfoLab, qui a cloné l’identité de médias européens pour publier de faux articles sur les réseaux sociaux dans l’objectif de discréditer l’Ukraine. Encore une fois, l’utilisateur doit passer du temps à s’assurer que les informations qu’on lui fournit sont vérifiées et à lutter contre son algorithme qui pousse ce type de contenu.
Une nouvelle donne : les chaînes d’information en continu
Aux côtés des réseaux sociaux, les chaînes d’info en continu alimentent la surabondance. Elles ont transformé la présentation des actualités. Depuis quelques années on remarque une priorisation des faits divers dans les informations. Une place spéciale leur est accordée, un simple fait divers peut donner lieu à des débats, des témoignages ou des invitations des victimes sur les plateaux, ce qui permet aux chaînes de remplir leur temps d'antenne. Ces chaînes produisent une information parfois de qualité inégale, avec une place croissante du commentaire au détriment de l’expertise, rendant possibles et même fréquentes les erreurs en plateau.
Mais la télévision n’est pas hors-jeu : ses contenus sont encadrés par l’Arcom, qui peut prononcer des mises en demeure ou des amendes. En 2024, CNews a ainsi été sanctionnée après la diffusion d’informations inexactes. Il s’agissait d’une séquence sur la mise en place d’une salle de prière lors d’un voyage scolaire. Même des chaînes d’information peuvent donc contribuer à la désinformation, les individus doivent vérifier toutes les informations ce qui demande du temps et de l’attention. Ils doivent prendre conscience également de l’ancrage idéologique de certaines chaînes ou certains médias dans le traitement des infos.
La concentration des médias
L’influence idéologique des médias se fait d’autant plus ressentir qu’on assiste à leur concentration dans les mains de quelques grands groupes et grandes fortunes. Ainsi, en France, 80% de la presse quotidienne généraliste est détenue par onze milliardaires. Parmi ces milliardaires, on retrouve Vincent Bolloré, Xavier Niel et la famille Dassault. Cette situation inquiète : dans un court essai paru en 2025, Sauver l’information de l’emprise des milliardaires, Olivier Legrain (avec Vincent Edin) souligne le pouvoir accru que confère cette concentration. Par exemple, Vincent Bolloré a insufflé une ligne éditoriale à droite toute à plusieurs médias qu’il possède : CNews, Europe 1, Le JDD. S’agissant de Vincent Bolloré, des rachats ont parfois été suivis de départs et de tensions dans les rédactions. C’est pourquoi, face à la rumeur de rachat du Parisien par Vincent Bolloré, les journalistes ont appelé au rassemblement pour contester et demander à Bernard Arnault, actuel propriétaire, de ne pas céder.
Le rachat de ces médias ne constitue pas une source de revenu directe pour les milliardaires, mais peut leur permettre de peser sur les débats publics avec une surexposition de certains politiques, voire même la publication de leurs ouvrages lorsque ces milliardaires possèdent aussi des maisons d'édition.
L’information est au centre de la démocratie et permet à chacun d’avoir tous les éléments en main pour se forger une opinion. Or, aujourd’hui l’information de qualité est en péril avec de trop nombreux émetteurs, canaux, de sources traversées par des intérêts et d’une complexité à vérifier et à extraire de tout cadrage idéologique. L’information de qualité a un prix. L’indépendance aussi. À nous de décider si on les paie, en attention, en temps, en quelques euros, pour ne pas les laisser filer.
Photo Source: Brett Taylor, Flickr
