
Raphaël Guermonprez for SPRH
March
Ce mois de janvier 2025, le Premier ministre français déclarait que les Français avaient très largement un « sentiment de submersion migratoire. » Pour beaucoup, ce type de métaphore est inhéremment lié à l'extrême droite, qui, depuis toujours, fait des immigrés un réel bouc-émissaire. Dans un contexte politique au point mort, pointer du doigt les migrants comme la faute de ce marasme paraît idéal, surtout dans un pays où près de sept Français sur dix partagent l’impression de Monsieur Bayrou.
Marseille, deuxième ville de France, port phare de la Méditerranée, permet de comprendre la complexité du rapport entre la France et l’immigration. Une sorte de « je t’aime, moi non plus », d’une réécriture de la véritable histoire de l’imigration, ou encore d’un profond melting pot urbain. D’un côté, Marseille est une des villes les plus cosmopolites de France, avec une partie de la population favorable à plus d’immigration. D’un autre, un électorat de plus en plus séduit par les discours anti-immigration du Rassemblement national (RN). De nos jours, à Marseille, il n’est pas rare d’entendre, comme ce qu’explique Sarah à France Bleu Provence, « J'ai des collègues qui disent 'Moi, j'en ai marre de tous ces Arabes, de tous ces Noirs, il faut le RN... Moi, on m'a dit 'Mais toi ça va, tu es intégrée'! Mais pourquoi on me parle d'intégration? Je suis née en France, je suis autant Française que toi! ».
Mais quel serait le problème? Qu'est-ce-qui dérange avec l’immigration à Marseille? Y a-t-il une vraie ‘submersion?’ Marseille a-t-elle oublié son histoire faite de récits migratoires?
Entre Marseille et l’immigration, une longue histoire
Depuis l’Antiquité, la cité phocéenne est sujette à des circulations de populations étrangères. Des Grecs aux Francs en passant par les Italiens, la ville s’est construite avec l’immigration. Néanmoins, il convient de nuancer cette vision, et comprendre que l’immigration telle qu’on la connaît de nos jours s’est amorcée bien après.
Même si la Marseille antique connaît des circulations de populations en raison de sa position stratégique dans le bassin méditerrannéen, c’est à partir du XIVème siècle que des individus migrent en Provence pour répondre à la demande de main d'œuvre. Le point fort de la ville, c’est son port. Ce dernier permet un développement commercial de la région et entraîne également une progression de mouvements migratoires et de brassages culturels, issus d’Europe du Sud mais également d’Orient, du XVIème au XIXème siècle.
C’est le long des XIXème, XXème et XXIème siècles que l’immigration telle qu’on la connaît de nos jours émerge réellement à Marseille. Cette immigration est liée à deux facteurs. Le premier est le besoin de main d'œuvre. Étant une ville commerciale en développement, des populations italiennes, corses, espagnoles, maghrébines, sud-asiatiques ou encore subsahariennes vont affluer progressivement dans la cité phocéenne. En second lieu, plusieurs populations se sont implantées à Marseille en quête de refuge, fuyant des discriminations, des conflits, voire des génocides, tels que les Arméniens, les Juifs ashkénazes ou encore les pieds-noirs.
Une ville tourmentée entre hospitalité et hostilité, pauvretés et richesses
Ce qui surprend à Marseille, c’est l’ambivalence qu’il y a vis-à-vis de l’immigration.
Étant donné sa proximité avec la mer, mais également son cosmopolitisme déjà très marqué, Marseille est un endroit privilégié d’implantations de la part des populations migrantes, issues surtout de couches défavorisées, par exemple, venant d’Afrique du Nord ou des Comores. C’est pourquoi plus de 10% de la population du département des Bouches-du-Rhône (Marseille) est immigrée. La pauvreté les entraîne dans les quartiers les moins favorisés de la ville. A titre indicatif, l’écrasante majorité des immigrés Algériens et Comoriens, qui représentent les plus grandes communautés étrangères de la cité phocéenne, habite dans les arrondissements les plus précaires, tels que le 16ème ou le 3ème arrondissements.
A l’inverse, Marseille est symbole de réussite et d’insertion pour d’autres immigrés. Des populations d’origine étrangère, étant présentes depuis plusieurs générations à Marseille, habitent dans les zones les plus favorisées de la ville. C’est notamment le cas des Arméniens, ou encore des Italiens. L’homme d’affaires Alain Manoukian en est l’exemple parfait: issu d’une famille ayant fui le génocide arménien, il est fondateur d’une entreprise au chiffre d’affaires à plusieurs dizaines de millions d’euros. Même pour les personnes à l'installation plus ‘récentes’, certains brisent le plafond de verre et connaissent une ascension sociale considérable. C’est le cas du quinquagénaire Karim Loufti, issu d’une famille d’origine marocaine, aujourd’hui à la tête d’un important groupe d’agroalimentaire halal. Marseille est ainsi à la fois une terre propice et une terre hostile au phénomène migratoire.
Nous observons d’abord que Marseille, au niveau de l’immigration récente, reste une ville qui accueille. Face à une demande croissante en main d'œuvre, notamment dans les secteurs du bâtiment et des travaux publics, de la sécurité et du gardiennage, ainsi que de l'hôtellerie-restauration, l'immigration est une nécessité au développement économique de la ville. L’économie marseillaise tourne grâce à aux professionnels étrangers, ou aux individus ayant acquis la nationalité française depuis peu.
Néanmoins, face aux discours anxiogènes du flanc droit de la scène politique, certains Marseillais s’avèrent de plus en plus hostiles aux immigrés, qu’ils accusent directement de tous les maux, tels que l’insécurité ou encore l’« invasion culturelle », avant même de cerner les raisons de leur déviance et de leur spécificité.
La mairie de Marseille, d’orientation socialiste, s’efforce, malgré des désaccords avec d’autres acteurs politiques, comme le gouvernement ou des députés plus à droite, et malgré certaines politiques publiques controversées, de faciliter, à son niveau, l’intégration des immigrés dans l’environnement francoprovençal. En août 2021, d’après Nelly Assénat pour France Bleu Provence, « Deux jours après la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan, le maire de Marseille assure que les personnes qui “viennent de Kaboul ou d'ailleurs” auront “toujours une place” à Marseille. »
La scène culturelle marseillaise est également engagée pour mettre de la lumière sur la réalité de l’immigration dans la région. Cette réalité est à la fois une chance et une nécessité, mais également souvent une blessure pour ces mêmes migrants, devant quitter leur terre natale en raison de problèmes multidimensionnels, à la recherche de meilleures opportunités. C’est d’ailleurs ce que met en valeur la nouvelle exposition du Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MUCEM) intitulée « Revenir. » De plus, plusieurs quartiers de la cité phocéenne regorgent d’affiches, de peintures murales et de commerces solidaires, célébrant le cosmopolitisme à la marseillaise, tel que le Cours Julien, ou encore Noailles.
Affiche de l’exposition « Revenir » // Graffiti au Cours Julien de Mahn Kloix rendant hommage à l’activiste aidant les migrants Cédric Herrou.
La vérité sur les problèmes de la cité phocéenne
Bien que la municipalité de Marseille fasse beaucoup d’efforts quant à la régularisation, l'intégration et l’insertion professionnelle des immigrés, il existe une réelle ghettoïsation des quartiers connaissant une forte population immigrée. C’est ce que décrit Philippe Pujol—journaliste de renom international originaire de Marseille. Pour lui, nous assistons à un abandon de la part des pouvoirs publics de ces zones, ce qui crée une réelle isolation, et par conséquent, une tendance significative au banditisme, ce qui explique la forte criminalité de ces endroits. C’est ce que Pujol montre d’ailleurs dans son documentaire « Péril sur la ville » datant de 2020, racontant la dure réalité de la vie dans le quartier défavorisé de la Belle de Mai. L'effondrement de la rue d’Aubagne en 2018, en plein quartier de Noailles, révèle aussi ce manque de prise en charge de ces quartiers, et de leurs habitants, souvent laissés pour compte.
Paradoxalement, ce n’est pas la « submersion » qui est réellement préoccupante à Marseille (ni d’ailleurs autre part en France), mais plutôt la mise en péril des couches les plus précaires de la population marseillaise, souvent issues de l’immigration. L’influence des politiques hostiles à l’immigration et à l’aide sociale ne fait qu’aggraver la situation qui, à termes, entraîne une exclusion sociale, elle-même propice à la délinquance et aux incivilités. Dans une recherche approfondie, l’association Ritmo révèle la ségrégation socio-spatiale à Marseille, où le manque d'infrastructures de sport, de culture ou encore de mobilité, dans les quartiers nords (quartiers les plus précaires) est flagrant. Ainsi, le lien entre l’immigration et la cité phocéenne se détériore, du fait d’une précarisation des conditions de vie des populations immigrées et d’un relent xénophobe et raciste de la part d’une partie des Phocéens—adhérents aux idées phares de l'extrême droite française.
La seule solution pour réparer ce lien, pourtant nécessaire à la prospérité de la ville, semble être celle d’une meilleure gestion, à une échelle nationale, voire européenne, de la question migratoire, afin d’éviter l'exclusion sociale et favoriser l’intégration socioprofessionnelle. En fin de compte, la seule vague qui semble submerger les Français n’est pas une vague migratoire, mais une vague de radicalisation de la scène politique.
Photo source: Jeanne Menjoulet on Flickr