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La littérature en traduction : bénédiction ou malédiction pour les langues minoritaires ?

By Gruffudd ab Owain

February

La présence de langues et de dialectes minoritaires est en pleine vue, même à Menton. Chaque jour, en route vers le campus, nous sommes accueillis par le nom de l’ancien restaurant, ‘A Braïjade Mentounasc’, ainsi que de nombreux noms de rue mentonasques.

 

Grâce à son positionnement géographique, il n’est pas surprenant que le dialecte mentonnais se trouve entre la langue d’oc de type provençal niçois et le ligure intémélien parlé dans la région de Vintimille-Sanremo. Le mentonasque fait partie du patrimoine de cette ville historique, mais de nos jours, il est moins parlé qu’auparavant. Comme pour plusieurs autres langues minoritaires, son utilisation était interdite aux écoles il y a quelques générations. « Ma grand-mère se faisait taper sur les doigts avec une règle en fer si elle parlait mentonnais, » a raconté Patricia à Monaco Matin en 2023. 

 

De cette façon, l’expression « langues minoritaires » n’est pas toujours appropriée. Le catalan, considéré comme une langue minoritaire malgré un nombre de locuteurs supérieur à celui du danois, langue majoritaire et officielle, en est un exemple évident. En anglais, on utilise désormais minoritized language pour souligner les connotations politiques de la domination d’une langue majoritaire. L’oppression à l’école n’est qu’un exemple des menaces pour la transmission de ces langues; sans transmission, quel espoir reste-t-il pour leur survie?

 

La littérature en traduction peut offrir une lueur d’espoir. Sa popularité et son importance sont en hausse. Les ventes de la fiction en traduction ont augmenté de 22% en 2022 par rapport à l’année précédente, grâce notamment aux lecteurs moins de 35 ans qui font partie de la moitié de son marché.  

 

En 2023, « The Blue Book of Nebo » de Manon Steffan Ros a remporté le prix Carnegie qui honore chaque année le meilleur roman pour adolescents en Grande Bretagne. Déjà primé dans sa langue originale, gallois, en 2018, il a été traduit en plusieurs langues, y compris le français sous le titre « Le Livre Bleu de Nebo ». C’était la première fois qu’un roman traduit remportait ce prix. 

 

Mais, quel est l’impact de la traduction de romans? Elle offre sans doute une visibilité nouvelle pour les langues minoritaires elles-mêmes, mais aussi des avantages pour les lecteurs du roman traduit. Selon Manon Steffan Ros, son roman est même plus ‘gallois’ en traduction que dans l’original. On en déduit que le processus de traduction peut adapter l’histoire, l’authenticité et les représentations pour différents publics.

 

Dans une étude publiée dans un journal de multilinguisme durable, Guillem Belmar discute du rôle de la traduction à l’heure de revitaliser des langues telles que le Basque. Il affirme que la traduction est une arme pour lutter contre la dominance linguistique, et pour encourager des nouveaux auteurs qui peuvent ainsi atteindre un plus grand public, toujours en écrivant dans leur langue maternelle. Surtout, Belmar affirme que la traduction est essentielle pour la dignité de ces langues, prouvant leur capacité à élargir leurs horizons, leur pertinence, et la nécessité de les respecter.

 

Cependant, la traduction fait face à des défis importants. La traduction anglaise de « Llyfr Glas Nebo » était « plus galloise » parce que Manon Steffan Ros l’a traduit elle-même. Il n’est pas rare que les auteurs ne puissent ni traduire ni lire leurs propres œuvres en autres langues, ce qui pose un risque pour l’authenticité et la fidélité des représentations. Comme le dit Michael Cronin, les structures de la traductologie sont marquées des préjugés et de la dominance des langues majoritaires, ce qui peut renforcer les inégalités linguistiques, surtout en contextes post-coloniaux.

 

En gallois, au moins, le défi s’agit non seulement d’encourager les traductions, mais aussi dans la représentation de la culture dans la littérature anglaise. Des romans originaux en anglais, surtout les romans policiers, situés en Irlande ou en Écosse sont devenus très populaires. Créer une ‘saveur’ galloise dans les romans qui attirent un large public pourrait être une manière d’attirer des nouveaux locuteurs, ou, au moins, de garantir la connaissance de l’existence de la langue.

 

Pour revenir au mentonasque, certains, comme Jean-Louis Caserio, pensent que sa littérature possède une richesse qui « mérite d'être plus connue ». Toutefois, elle n’a pas connu le même succès par rapport à ses voisins occitans, qui ont une longue et riche histoire.

 

Parfois, sa littérature a prospéré même si la langue était en déclin : Robert Marty (1944-2021) a prévenu, de manière provocante peut-être, qu’il pourrait y avoir plus d’écrivains que de lecteurs. Aujourd’hui, elle est toujours vivante - il suffit de jeter un œil à la section des nouveautés du site Découvertes Occitanes pour en être sûr – même si les traductions d’œuvres étrangères sont plus présentes que dans d’autres langues minoritaires. Cela représente à la fois une opportunité pour assurer la vivance de la littérature et aussi un défi pour que les œuvres originales ne soient pas marginalisées.

 

L’âge d’or de la littérature occitane a eu lieu au 13ème siècle, ce qui correspond avec l’époque des Troubadours. Leurs œuvres ont souvent été traduites, et Dafydd ap Gwilym, qui écrivait en gallois à la même époque, a été profondément influencé par leurs thèmes, surtout l’amour courtois. 

 

On dit que ap Gwilym est le poète qui a eu l’impact le plus significatif sur la poésie galloise, introduisant des nouvelles idées et structures qui conservent une valeur importante jusqu'aujourd'hui. Ainsi, cette histoire nous rappelle que la littérature en traduction construit des ponts entre les langues et les cultures pour un enrichissement mutuel.


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