By Salomé Greffier
October 31, 2023
À l’occasion de la commémoration d’un an de la mort de Mahsa Amini ayant succombé à ses blessures en garde à vue suite à son arrestation par la police des mœurs, les Iraniens et Iraniennes poursuivent leurs combats contre le régime des mollahs arguant fièrement le slogan « Femme, Vie, Liberté ». La mort de cette jeune femme kurde accusée d’avoir mal ajusté son voile le 16 septembre 2022, a déclenché des mouvements de foule sans précédents dans un État où le terreau de la mobilisation civile demeurait déjà riche. Plus précisément, depuis la révolution de 1979, le régime se heurte à sa population qui l’accuse de la diriger d’une main de fer, dissimulant ses exactions derrière d’innombrables mensonges. La dénégation des autorités quant à leur implication dans le décès de Mahsa Amini a poussé l’exaspération des Iraniens à son comble, trouvant dans la rue le seul moyen d’expression de leur colère. Malgré la répression du gouvernement, la voix des Iraniens et Iraniennes ne faiblit pas et se fait entendre à travers le monde dans les diasporas américaine, allemande, canadienne ou encore française. « Khodeshoun kardan ! » [Ils (le régime) l’ont fait eux-mêmes!] résonne comme un cri d’espoir et de solidarité poussé contre l’absurdité des violences commises.
Une des voix qui se dresse contre la république théocratique d’Ali Khamenei, demeure celle des artistes. Ce comportement n’est pas anodin. En effet, l’histoire nationale iranienne est parsemée d’engagements d’artistes ayant influencé des choix politiques et sociaux. Leur célébrité leur confère un pouvoir de persuasion auprès de la population et leur travail éclaire une vérité cachée par les autorités. Ils font sortir des images de l’Iran pour confectionner leurs œuvres, ce qui relève de l’impossible dans un pays fermé à double clé, censuré. Malgré le danger, le travail des photographes Sajede Sharifi et Jeanne Grouet dans Le Laser Vert mêlent désobéissance civile, résistance publique et privée à l’autorité, à la censure et à la répression du gouvernement de la République islamique. Les deux femmes exposent des images d’intimité côtoyant des photographies de manifestation. Par l’image, les artistes capturent des instants de vérité et se présentent comme témoins des exactions commises par le régime. Provoquant les institutions, nombre d’artistes ont dû fuir pour éviter la répression ou ont été détenus arbitrairement dans les geôles de la prison d'Evin notamment. Nous pouvons relever les noms de Jafar Panahi réalisateur du film Taxi Téhéran (2015), de Saeed Roustaee réalisateur de Leïla et ses frères (2022) récompensé au Festival de Cannes ou encore de Mina Keshavarz réalisatrice également. Ces trois figures majeures du monde du cinéma iranien ont été emprisonnées sans que des accusations concrètes soient invoquées. La détention de Mina Keshavarz et d’une de ses homologues, Firouzeh Khosravani, ont déclenché une mobilisation spéciale avec pour slogan le hashtag #FreeWomenDirectors. Ces cas particuliers ne sont malheureusement pas isolés mais reflètent le traitement systématique de la répression des artistes en Iran sur l’année écoulée. Dans l’objectif de dénoncer cet acharnement, Nasim Vahabi, écrivaine franco-iranienne lauréate du prix littéraire de Sciences Po 2024 pour son livre intitulé Je ne suis pas un roman (2023), réalise une liste non exhaustive recensant tous les noms d’auteurs, de poètes, journalistes assassinés ou actuellement incarcérés en Iran. Parmi les 16 000 personnes interpellées lors des premières semaines de soulèvement (Rapport 2022/2023 Amnesty International), nombreux étaient artistes. Un des derniers à avoir subi les frais de la police des mœurs est le chanteur et activiste Mehdi Yarrahi. Son titre Roosarito « ton voile » se positionne contre l’obligation du port du voile et est dédié aux « courageuses femmes iraniennes ». Il écope sa peine depuis août sans doute pour « inimitié à l’égard de Dieu ».
L’investissement des artistes en Iran est fondamental et s’accompagne d’un soutien de la communauté depuis l’étranger. Marjane Satrapi, dessinatrice de la fameuse bande dessinée Persepolis, a publié en septembre dernier un travail comptant près de 200 planches dessinées en soutien à la révolte. Intitulé Femme, Vie, Liberté témoigne de la volonté de la diaspora de soutenir la révolte. De même, dans le monde de la musique, des dizaines d’artistes tels que le pianiste Arshid Azarine ont donné des concerts en l’honneur des Iraniens et Iraniennes se battant pour leurs droits. Le 22 mai dernier, à la Cité de la Musique, quatre artistes ont présenté le projet Mèches de feu en référence à la mobilisation des artistes françaises ayant coupé symboliquement une mèche de leurs cheveux en soutien aux femmes iraniennes. Cet évènement mené par l’actrice Julie Gayet, mêle musique classique et poésie d’auteurs comme Garous Abdelmakian et Rambob Daghigh. Trois musiciennes Shani Diluka, pianiste ; Sonia Wieder-Atherton, violoncelliste; Anousha Nazari mezzo-soprane Iranienne participent à cette aventure artistique. L’objectif ici était de recourir à la musique comme langage universel afin de permettre aux messages de solidarité et de paix d’être diffusés aux quatre coins du monde avec la viralité qu’ils méritent. En outre, il ne faut pas négliger que la mobilisation en Iran demeure moins virulente après un an d’affrontements. Selon le Tehran Times, c’est avant tout la détermination de l’Occident, et in extenso de la diaspora Iranienne, qui maintient les braises de l’agitation et qui a exploité le premier anniversaire de la mort de Mahsa Amini pour la relancer. Les rassemblements à Londres, Berlin, Bruxelles ou encore Melbourne en témoignent.
Alors qu’une adolescente de 16 ans, Armina Garavand, se trouve dans le coma depuis le 4 octobre 2023 suite à l’intervention de la police des moeurs, demeure une certitude : l’hymne Barayé entonné depuis le début des évènements dans les Etats où se trouvent des ressortissants Iraniens ne faiblira pas tant que le régime des mollahs persistera. Les mots, les images et la musique se dresseront toujours face à l’injustice intolérable et la violence arbitraire.
