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Najib Mikati, un milliardaire dans le marécage du Grand Sérail

Lubin Parisien

September

« Quelles seront vos priorités ? » demande le journaliste du Figaro.

« Améliorer la situation économique, réduire la dette publique, défendre le pouvoir d'achat des Libanais et travailler sur les grands chantiers de réforme qui sont en souffrance », énumère le Premier ministre libanais Najib Mikati.


Il pourrait faire référence aux priorités de son gouvernement depuis 2021. En réalité, ces réponses sont tirées d’un entretien accordé au Figaro en 2011, quand il est élu Premier Ministre une seconde fois. Durant une décennie, Najib Mikati est à la tête d’un gouvernement qui doit faire face aux mêmes problèmes. L’absence de progrès interroge: pourquoi rien n’a été fait? Najib Mikati, qualifié « d’éternelle roue de secours » par L’Orient - Le Jour, incarne l’immobilisme d’une classe politique versée dans les affaires et profondément inefficace, si ce n’est néfaste. 


Le 24 Novembre 1955, Najib Mikati voit le jour à Tripoli. Les élites de Tripoli ont pu ainsi jouer le jeu nationamiste syrien avant de rallier la politique libanaise. Dans l’ouvrage collectif  Leaders et partisans au Liban, publié en 2012, Bruno Dewailly revient sur les “transformations du leadership tripolitain”. Désormais, avec le mandat français, “la dimension du négoce finit par primer et l’indépendance marque l’instauration d’un libéralisme particulier associant de nouvelles élites foncières et marchandes”. Dans ce contexte, la famille Mikati est une famille de petits notables tripolitains avec une éducation certaine, mais cela n’a rien à voir avec de grandes dynasties de Beyrouth ou de Tripoli comme les Karamé. C’est dans toute cette dynamique qu’il faut comprendre l'ascension des Mikatis.



Najib Mikati est diplômé de l’université américaine de Beyrouth. Son ascension commence avec Investcom, une entreprise de télécommunication, fondée avec son frère, Taha Mikati. De 1975 à 1990, la guerre civile fait rage au Liban, les infrastructures de télécommunications tombent comme des dominos. C’est justement cela qui fait la prospérité de Investcom; l’entreprise vend en effet des téléphones satellitaires, et plus tard elle reconstruit un réseau d’infrastructures de télécommunications. Najib Mikati noue des liens privilégiés avec le régime des Assads: quelques semaines après l’accession au pouvoir de Bachar al-Assad, une filiale d’Investcom obtient des concessions pour opérer en Syrie. Mikati s’est aussi fait une place dans le capitalisme mondial, son groupe est coté dans de grandes bourses et est présent dans 10 pays, notamment en Afrique de l’Ouest. En 2006, les frères Mikatis empochent 5 milliards de dollars avec la vente d’Investcom à la compagnie sud-africaine MTN. Néanmoins, en faisant l’acquisition de 6% des actions de MTN, les Mikati ne coupent pas les ponts avec les télécoms. Leurs actifs se diversifient, que ce soit avec l'immobilier, la finance ou avec la mode (Pepe Jeans). Tout cela est regroupé dans une maison-mère, M1 Group, créée en 2007. Ils s’aventurent même dans la presse avec le lancement du site Lebanon 24 en 2011. En 2024, le magazine Forbes évalue la fortune de chacun des frères Mikati à 2,8 milliards de dollars, c’est-à-dire les plus grosses fortunes individuelles recensées par le magazine au Liban.


Najib Mikati s’est fait une place dans le monde des affaires libanais et plus largement arabe; ce faisant, il acquiert une place dans un monde inextricablement lié au premier: la politique. De 1998 à 2004, il est ministre des Travaux publics et des Transports. Il officie dans les gouvernements de Rafic Hariri notamment, sans pour autant intégrer le grand parti sunnite des Hariris. La charge ministérielle l’a d’ailleurs « convaincu de la nécessité de ne pas cumuler les charges du ministère et de la députation. » Il gravit néanmoins progressivement les échelons ; il est élu député à Tripoli en 2000 tout en restant ministre. 


En 2005, l’ex-Premier ministre Rafic Hariri est assassiné dans des conditions troubles. Le pays est en crise, nombreux sont ceux qui dénoncent les ingérences occidentales et surtout l’occupation syrienne. Najib Mikati est alors nommé Premier ministre en avril sur fond de retrait syrien et de révolution populaire. Najib Mikati est une personnalité politique peu connue qui représente l'establishment pro-syrien mais qui a une assise financière mondiale qui le rend légitime aux yeux de la communauté internationale. Son gouvernement comporte des pro et anti-syriens, et pour l’organisation des élections, il fait appel à la communauté internationale: c’est donc un gouvernement consensuel. Il profite de son image en retrait pour apparaître comme une solution de compromis, mais le mandat que lui accorde la classe politique n’est qu’un intérim: « il accepte ce qu’il refuse aujourd’hui [en 2021]: être à la tête d’un gouvernement dont la seule mission est de superviser les élections et le retrait syrien du Liban » selon L’Orient-Le Jour dans une rétrospective de sa carrière politique.


En 2011, le Liban est encore en crise. Le gouvernement de Saad Hariri chute. Le Hezbollah affirme sa supériorité militaire et reproche à M. Hariri de ne pas avoir assez fait pression sur le tribunal international sur l’assassinat de Rafic Hariri. Il est soutenu par le Hezbollah, il est parfois même présenté comme le candidat du parti chiite. Le clan Hariri, chassé du Grand Sérail, accuse M. Mikati de trahison contre sa communauté sunnite. Mikati est dès le début en position de funambule: dans un entretien avec Le Figaro en Février 2011, il déclare: « Avant de me soutenir, le Hezbollah m'a certes demandé des engagements, mais j'ai répondu que je ne pouvais pas les assurer. Je ne me suis engagé qu'à une chose envers lui: protéger la résistance. » Les trois enjeux de son gouvernement sont sa propre survie, le redressement de l’économie libanaise exsangue ainsi que d’éviter la propagation de la guerre civile syrienne au Liban. Pour s’attirer les bonnes grâces de la communauté internationale, il dégèle les fonds que le Liban devait allouer au Tribunal enquêtant sur l’assassinat de Rafic Hariri; il le présente comme une initiative personnelle pour ne pas attirer en même temps les foudres du Hezbollah qui craignait des poursuites à son encontre. Le gouvernement chute à cause des dissensions de la coalition autour de l’attitude à adopter vis-à-vis de la guerre civile syrienne : la politique d’équilibrisme de Najib Mikati n’a pas fait long feu. La question de la réforme électorale et du redécoupage des circonscriptions ont finalement raison des lambeaux de la coalition de M. Mikati. Il reste Premier ministre jusqu’en 2013, il exerce l’intérim jusqu’en 2014, jusqu’aux élections législatives repoussées par un Parlement n’ayant pas trouvé d’accord sur ses modalités. 


En parallèle, le Liban obtient le score peu glorieux de 30 sur l’indice de perception de la corruption en 2013: le pays occupe la 127ème place. Le Gouvernement Mikati n’a pas rétabli la confiance envers le pays et sa classe politique. Il n’a pas attiré le tonnerre sur le Liban, mais il n’a résolu aucun problème et a ainsi laissé le système politique s'encroûter. 


En 2021, Najib Mikati est de retour dans le Grand Sérail, siège du gouvernement libanais. Le Liban a vécu de grandes manifestations en 2019 contre l’incurie économique du pays. En 2020, l’explosion d’un silo de nitrate d’ammonium dans le port de Beyrouth fait 235 morts et défigure la capitale. Après les échecs de Saad Hariri, Hassan Diab puis Mustapha Adib, c'est Najib Mikati qui est nommé Premier ministre, avec notamment le soutien de la France. Pour rétablir la confiance des bailleurs de fonds internationaux dans le Liban, il doit trouver une solution aux problèmes d’approvisionnement en hydrocarbures et améliorer le sort des 78% de libanais sous le seuil de pauvreté. Son poste de Premier Ministre est remis en jeu début 2022, nombreux sont ceux qui considèrent son gouvernement comme démissionnaire. En juin, il reçoit le mandat du Parlement pour former un nouveau gouvernement, avec 54 voix sur 128; il bénéficie du soutien des partis chiites que sont le Hezbollah et Amal, mais les partis chrétiens le rejettent. 


Le rejet de M. Mikati par les partis chrétiens est d’autant plus vrai quand il faut élire un nouveau président. Le mandat de Michel Aoun expire le 31 octobre 2022. Les relations entre Najib Mikati et Michel Aoun sont notoirement mauvaises, ce qui pourrait être expliqué par leurs parcours opposés: M. Mikati était au gouvernement sous l’occupation syrienne alors que Michel Aoun était en exil en France après s’être opposé à l’intervention de Hafez al-Assad. Avant de quitter le palais présidentiel, Aoun envoie une lettre au Parlement où il nie toute autorité à Najib Mikati, qui avait reçu la confiance du Parlement mais qui n’avait pas encore formé son gouvernement. Il déclare dans un discours qu’en « vertu des pouvoirs que [lui] confère la Constitution, j'ai adressé ce matin une lettre à la Chambre des représentants et j'ai signé le décret de démission du gouvernement. » Néanmoins, si la Présidence n’a pas de titulaire, c’est à M. Mikati de remplir les prérogatives liées à la fonction présidentielle. Il ressort gagnant du bras de fer avec Michel Aoun. Son gouvernement est constitué, mais il est affaibli. Najib Mikati est à la tête du jeu politique libanais en cumulant les prérogatives présidentielles et primo-ministérielles, mais il ne tire pas toutes les ficelles de ce jeu politique. Il n’est que celui qui a le plus réussi à maintenir des voix autour de sa personne. Aujourd’hui, il n’y a toujours pas de Président élu.


Autre souci pour M. Mikati, la révélation des bénéfices qu’il a retirés de biens mal acquis, notamment avec les Pandora Papers en 2021. Il est accusé d’avoir détourné, par l’intermédiaire de sociétés-écrans,  un prêt accordé à M1 Group par la Banque du Liban— entre 2010 et 2013 alors qu’il était Premier ministre—pour acquérir un patrimoine immobilier personnel à Monaco et en Côte d’Azur. En Avril 2024, l’ONG Sherpa et le Collectif des Victimes des Pratiques Frauduleuses et Criminelles au Liban ont porté plainte en France auprès du PNF (Parquet National Financier). Ces transactions malhonnêtes se seraient faites avec la complicité de Riad Salamé, ancien directeur omnipotent de la Banque du Liban, arrêté en septembre 2024 pour corruption et détournement de fonds.


Enfin, M. Mikati est aujourd’hui à la tête d’un Liban au bord de la guerre, après le 7 octobre 2023 et avec des échanges de roquettes réguliers entre le Hezbollah et l’Etat hébreu. Alors qu’Israël a frappé Beyrouth-Sud en août et que de nouvelles frappes encore plus meurtrières ont été initié le 23 septembre, le gouvernement semble dépossédé de l’exercice de la souveraineté de l’Etat libanais, État bien souvent oublié quand on parle de la possible guerre au Liban. M. Mikati est spectateur de la géopolitique régionale. Ses initiatives sont convenues et reprennent peu ou prou les mêmes idées que celles défendues par les chancelleries occidentales. Le rôle de Najib Mikati, qui a des ministres du Hezbollah dans son gouvernement, est sans doute de maintenir et de geler le jeu politique libanais pendant que le Hezbollah, l’Iran et Israël mènent un jeu autrement plus dangereux et déterminant pour l’avenir du Liban. 


Najib Mikati est partout et nulle part à la fois. Son évanescence lui a permis de naviguer dans toutes les ramifications du marécage politique libanais, et il a su maintenir un État libanais lors de grandes crises comme celle d’aujourd’hui. Il a surtout maintenu les iniquités décriées par la population et qui gangrènent la politique libanaise: Najib Mikati incarne un Liban corrompu et à bout de souffle. Le passé et le présent du pays se sont fait avec lui, mais le futur qu’espèrent nombre de libanais ne pourra se réaliser que lorsque Najib Mikati et toute la classe politique qu’il représente seront relégués au musée. De nouveaux visages sur scène sont attendus pour la nouvelle pièce à écrire.


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