Bronwen Sutcliffe
September 30, 2025
Le 16 septembre 2025 marque le troisième anniversaire du décès de Mahsa Amini aux mains du régime iranien. La politique répressive envers les femmes perdure. Cependant, l’Iran a connu d'importants bouleversements à la suite de cet outrage, notamment portés par le mouvement international Femme, vie, liberté. Ces mobilisations ont-elles réellement amélioré la condition des femmes ? Trois ans après, faisons le point sur la société iranienne depuis le soulèvement Femme, vie, liberté.
Le meurtre de Mahsa Zhina Amini
En septembre 2022, Mahsa (Zhina) Amini, jeune Iranienne kurde, se rend à Téhéran avec son frère. Elle est arrêtée sur place par la « police des mœurs » (gasht-e ershad), connue pour contrôler arbitrairement les femmes ne respectant pas les lois strictes sur le port du voile. Selon des témoins, les agents l’ont violemment poussée dans un fourgon et battue avant de l’emmener au centre de détention de Vozara. Les autorités ont déclaré qu’elle devrait y suivre une « séance éducative » pour corriger son comportement.Quelques heures après son arrestation, Mahsa Amini est victime de coups à la tête et perd connaissance. Après trois jours dans le coma, elle meurt, le 16 septembre 2022, à 22 ans.Le gouvernement parle de causes naturelles, mais la famille de Mahsa affirme qu’elle était en parfaite santé avant son arrestation.
Suite à la mort de Mahsa Amini, trois mots—femme, vie, liberté—ont rythmé un mouvement de manifestations de masse. Son meurtre a choqué la communauté iranienne et internationale et a montré une réalité effarante : la répression systématique et la violence envers les femmes par le régime iranien. Des milliers de personnes se sont mobilisés dans les rues pour contester la loi rendant obligatoire le port du voile, dénoncer les abus de l'État et revendiquer les droits des femmes, le tout accompagné de gestes symboliques forts, tels que ôter le voile, le détruire, ou couper ses cheveux.
Aujourd’hui, entre répression et résistance
Après le mouvement Femme, vie, liberté, la repression s’intensifie. En 2023, la rédaction de VICE News, un média américain, a obtenu de rares visas pour se rendre en Iran et couvrir la situation des femmes. Dès leur arrivée, les journalistes ont été confrontés à une forte surveillance : leurs déplacements étaient limités à des lieux approuvés et ils ont été arrêtés à plusieurs reprises, leurs images étant parfois supprimées. L'équipe a toutefois pu monter un documentaire présentant des fragments de la réalité : étudiants contraints de signer des engagements pour respecter le code vestimentaire et ne pas assister aux manifestations, cafés et commerces fermés lorsqu’ils permettaient aux femmes d’entrer sans voile, quartiers centraux des manifestations étroitement surveillés et jeunes enfants formés à soutenir le régime à travers des organisations religieuses et sécuritaires. Une intervenante anonyme a même révélé que la police lui avait tiré dessus avec des balles en caoutchouc lorsqu’elle était au parc avec ses amis.
S’entretenant avec la seule femme du gouvernement iranien, celle-ci a répeté les revendications du gouvernement, affirmant que Mahsa Amini n’avait pas été tuée et que le gouvernement est plus démocratique que dans d’autres pays. Selon elle, le gouvernement considère le hijab comme un moyen de protéger les femmes et affirme que si, un jour, il estime que ces lois leur nuisent, il les supprimera. Des propos nettement trompeurs.
Les jeunes interviewés dans le documentaire ont été nombreux à demander l'anonymat. La peur est palpable. Un article publié dans la revue La Pensée écologique en 2023 décrit comment de nombreux Iraniens et Iraniennes vivent depuis leur plus jeune âge dans une « schizophrénie généralisée ». Ils doivent adopter des comportements contradictoires selon le contexte—à la maison, à l'école ou dans l’espace public, naviguant entre les exigences du régime et leur vie privée. La politique répressive du gouvernement, mêlée à la corruption, à l'hypocrisie, aux mensonges et aux détournements de fonds, exerce une pression quotidienne.
C’est à travers de gestes simples mais profondément courageux que, malgré la répression, les femmes s’offrent des gouttes de liberté et contribuent à transformer progressivement la culture de l’espace public : elles se rendent à leur école ou sur leur lieu de travail sans porter le voile obligatoire et roulent à vélo ou même à moto (ce qui est interdit aux femmes).
Selon Sedigheh Vasmaghi, théologienne et universitaire qui a elle-même été arrêtée pour être sans voile, « le système politique [iranien] ne peut plus remonter le temps ». Elle précise que L’État, confronté à d'énormes problèmes de politique intérieure et étrangère, n’est plus en mesure de contrôler les femmes à travers le pays, en particulier les adolescentes et les jeunes femmes, qui ne veulent plus porter de voile.
De nombreux témoignages suggèrent que les policiers détournent le regard des femmes sans voile, soit par épuisement, soit par crainte d’attirer davantage de mauvaise presse, mais certainement pas par volonté de remettre en cause le régime en leur accordant plus de liberté.
En décembre 2024, le Conseil national de sécurité d’Iran a présenté un projet de loi draconien sur le hijab, prévoyant de lourdes amendes, jusqu'à 15 ans de prison pour les récidivistes ainsi que l'obligation pour les commerces de signaler des contrevenants. Face à des protestations publiques et aux objections des organismes de surveillance internationaux comme Amnesty, ce projet a été suspendu. Toutefois, la suspension de la loi ne reflète pas forcément une libéralisation des conditions des femmes, plutôt une continuation du statu quo qui pourrait s’aggraver à tout moment.
Toutefois, la surveillance des femmes se poursuit à travers des applications de signalement, la reconnaissance faciale, la surveillance aérienne et le contrôle des réseaux sociaux, créant une pression constante. Même si de nombreuses femmes non-voilées échappent à des sanctions directes, les militantes féministes, journalistes et femmes dans l’espace public—comme Vida Rabbani, Saeedeh Shafiei, Niloofar Hamedi, Elaheh Mohamaddi ou Narges Mohammadi—vivent en péril, emprisonnés ou poursuivis pour des accusations comme « propagande contre l'État » ou « rassemblement contre la sécurité nationale », en représailles à leur travail et à leur engagement public.
Un futur incertain
L’afflux de femmes revendiquant leur liberté dans l’espace public signale une transformation graduelle de la société vers l’émancipation des femmes. Toutefois, une amélioration réelle du statut des femmes ne pourra se faire sans un changement du gouvernement et la réforme, voire la sécularisation, du code civil, qui, entre autres, dispose que le mari détient l'autorité exclusive au sein du foyer, que l'épouse a un devoir de soumission sexuelle (tamkin) et qu’il peut contrôler son lieu de résidence ainsi que l’exercice d’une profession. Ces lois institutionnalisent une réalité profondément sexiste ne pouvant être déconstruite sans de profonds changements institutionnels.
Ce n’est pas pour minimser les contributions des manifestants que mon article a mis un accent sur la répression par l’État ; les Iraniennes et Iraniens qui ont soutenu le mouvement Femme, vie, liberté ont eu un impact enorme, étendant la cause iranienne à l’échelle mondiale et exerçant une pression sur le gouvernement iranien. De nombreuses femmes ont pu en profiter pour jouir, quoique illicitement, de davantage de libertés dans leur vie quotidienne. Toutefois, le comportement oscillant du régime iranien pour appliquer des lois répressives révèle un désir profond de maintenir son pouvoir et sa légitimité en se pliant le moins possible à la pression populairee.
Après le conflit israélo-iranien de juin 2025, le débat sur la stabilité du régime islamique a été relancé. Étant donné sa longévité, certains le qualifient d’un retour du religieux, mais des enquêtes non-gouvernementaux du GAMAAN (Groupe d’analyse et de mesure des attitudes en Iran) révèlent une sécularisation croissante et un large désir de changement au sein de la majorité de la société iranienne.
Si les trois ans suivant le meutre de Mahsa Amini n’ont pas mené à une révolution, ils ont porté la situation à un point de rupture imminent.
Photo Source: Loco Steve, Flickr
