Eloïse Franzmann
September 30, 2025
Le 1er septembre 2025, lors du sommet annuel de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), Xi Jinping dénonçait une « mentalité de guerre froide » et des « actes d’intimidation » visant implicitement l’administration américaine. Ces propos, repris dans de nombreux médias occidentaux, renforcent une certaine inquiétude quant à la montée en puissance de la Chine.
L’OCS est fondée en 2001 comme prolongement et institutionnalisation du « Groupe de Shanghai », forum de coopération régionale créé sous l’impulsion de la Chine et de la Russie. Comme mission première, assurer la stabilisation sécuritaire de l’Asie centrale, bien que la coopération économique et commerciale revêt désormais une dimension tout aussi importante. La Charte de l’OCS, adoptée la même année, fixe comme principaux objectifs « la lutte contre le terrorisme, le séparatisme éthnique et l’extrémisme religieux ». Néanmoins, en pratique, cette doctrine des « trois fléaux » (terrorisme, séparatisme, extrémisme) élaborée par Pékin, permet de justifier de nombreuses politiques autoritaires, que ce soit la répression de groupes d’opposition en Russie ou la répression virulente des Ouïghours en Chine. Si l’organisation est fondée par 6 pays (Chine, Russie, Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan et Tadjikistan) elle s’est progressivement élargie à l’Inde et au Pakistan en 2017, ainsi qu’ à l’Iran en 2023, représentant aujourd’hui 42% de la population mondiale. Parallèlement, le nombre de pays observateurs (Mongolie, Biélorussie, Afghanistan, etc.) et « partenaires de dialogue » a considérablement augmenté, passant de 6 en 2022 à 16 en 2025. De cette expansion indéniable découle une sphère d’influence agrandie, qui s’étend au-delà du continent asiatique jusqu’au Moyen-Orient. L’OCS s’affirme par conséquent comme un pôle incontournable pour les États eurasiatiques.
C’est dans le contexte d’un ordre multipolaire, où l’influence occidentale est remise en cause, que l’OCS apparaît, aux yeux des spécialistes, comme une force diplomatique prééminente sur la scène internationale. Alors que Xi Jinping défend une « gouvernance mondiale plus juste et plus équitable,» certains perçoivent avec l’ascension de la diplomatie chinoise un essoufflement de l’hégémonie occidentale. Le sommet de Tianjin, du 31 août au 1er septembre 2025, s’est d’abord présenté comme le théâtre de l’amitié sino-russe. De fait, les dirigeants Vladimir Poutine et Xi Jinping n’en sont pas moins qu’à leur soixantième rencontre. Quelques jours après l’OCS, à l’occasion des commémorations du 80e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale le 3 septembre 2025, Vladimir Poutine mais aussi Kim Jong-un ont été conviés au défilé par Pékin. Une amitié qui met en scène leur unité face à l’Occident.
De même, la présence du président iranien Massoud Pezeshkian et la signature de 24 documents finaux sur le renforcement de la coopération de l’OCS, nourrissent les préoccupations des Etats-Unis et de leurs alliés quant à la consolidation d’un axe Russie-Chine-Iran concurrent et autonome.
Toutefois, si les présences russes et iraniennes n’ont rien d’insolite, la venue du président indien Narendra Modi est assez inédite, marquant le retour du président indien en Chine pour la première fois depuis le contentieux frontalier sino-indien dans la vallée de la Galwan en 2020—où des soldats des Etats respectifs s’étaient affrontés. Le sommet de Tianjin témoigne d’une nouvelle réussite diplomatique, certainement plus marquante après l’intégration simultanée de l’Inde et du Pakistan en 2017, alors même que les litiges frontaliers persistent depuis des années. Malgré des rivalités, la coopération n’est pas nécessairement bloquée. Cette idée fait écho à la logique développée par le chercheur en relations internationales Robert O.Keohane qui, dans son ouvrage After Hegemony, convient que “la coopération n’est pas un état exempt de conflictualité, mais une réaction à la conflictualité ou à sa potentialité”.
Si la Chine apparaît, aux yeux de la plupart des observateurs internationaux, comme une puissance fédératrice à travers l’OCS , l’inquiétude au sein du bloc occidental, qui comprend notamment les États-Unis et l’Union européenne, est bien celle de se marginaliser face à un bloc eurasiatique organisé autour de ses plus grandes puissances.
Alors que la Turquie ne possède jusqu’alors qu’un statut de “partenaire de dialogue”, Recep Tayyip Erdogan annonçait dès 2022 sa volonté de rejoindre à part entière l’organisation, dénotant le poids de l’OCS.
Pour autant, sous couvert d’une démonstration d’unité, des rivalités internes persistent entre les différentes puissances membres de l’OCS et peuvent empêcher son bon fonctionnement. Les Etats membres affichent des ambitions géopolitiques divergentes, voire concurrentes. Ainsi, la bonne entente entre Pékin et Moscou n’empêche pas une compétition persistante entre les deux puissances. De fait, le rapprochement récent entre Moscou et Pyongyang, qui s’est traduit par la signature d’un accord d’assistance mutuelle en juin 2024, a contrarié Pékin. Xi Jin Ping entend dès lors rappeler sa prééminence régionale, notamment à travers le défilé militaire du 3 septembre 2025 auquel la Russie et la Corée du Nord étaient accueillies.
De même, le sommet de Tianjin n’a pas pu cacher les divergences entre la Russie et la Turquie. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, invité en tant que partenaire de dialogue a proposé à Vladimir Poutine une médiation dans le conflit russo-ukrainien, proposition qui fut très mal reçue. Cette hétérogénéité témoigne d’une chose : l’OCS incarne un projet d’affirmation collective anti-occidental alors que sa capacité à se construire en tant que bloc reste entravée par des rivalités internes.
Par ailleurs, face à la consolidation d’un bloc eurasiatique, plusieurs questionnements surgissent à propos de l’organisation même de l’OCS, en particulier de sa possible dimension militaire. Depuis 2005, plusieurs exercices conjoints dédiés à la lutte antiterroriste, telles la « Peace Mission » ont été organisés, mobilisant les forces nationales respectives des États membres. Toutefois, l’OCS est dépourvue des attributs d’une véritable alliance militaire. Celle-ci ne dispose d’aucune clause de défense mutuelle comparable à celle de l’article 5 du Traité de l'Atlantique Nord et ne possède pas non plus de forces de projection. L’OCS ne prétend aucunement créer une alternative à l’OTAN, l’organisation semble davantage rester fidèle à ses objectifs initiaux et ainsi fonctionner comme un forum diplomatique et sécuritaire plutôt que comme une coalition militaire.
L’OCS occupe désormais une place significative dans le concert des nations. Il convient d’admettre que la force diplomatique de l’OCS provient certainement de sa capacité à prendre en compte des intérêts stratégiques communs entre plusieurs pays d’Eurasie, que le multilatéralisme occidental n’aurait pas assez considéré. Cette coopération entre pays, non seulement en proposant un bloc alternatif au système occidental mais aussi en servant d’appui stratégique aux ambitions chinoises et russes remet en cause la domination économique, sécuritaire et idéologique occidentale. Pour autant, sa posture menaçante est à mettre en perspective. Selon Cédric Garrudo, diplômé de sinologie et analyste en stratégie internationale, il convient de prendre ces précautions quant à l’analyse parfois instrumentalisée et politisée qui présente l’OCS comme une organisation profondément et essentiellement anti-occidentale, une vision qui serait entretenue “pour encourager au réarmement et resserrer les rangs des pays de l’OTAN”.
https://legrandcontinent.eu/fr/2025/08/30/lorganisation-de-cooperation-de-shanghai-represente-23-du-pib-et-42-de-la-population-mondiale/ (chiffre : membres de l’OCS représentent 42% de la population mondiale).
Photo Source: Minister of External Affairs of India, Flickr
